Les temps changent....

Je n’ai jamais fourni de performances exceptionnelles. Je n’étais pas un étudiant exemplaire, ni un sportif accompli, ni particulièrement doué de mes mains, et certainement pas un super manager. Et pourtant, je ne me suis jamais senti inférieur aux autres. J’ai obtenu un diplôme dans le paramédical sans trop d’efforts. Je n’ai pas été dépassé rapidement par mes amis sportifs.  J’ai fait mon chemin dans le bâtiment pendant des années et je suis dirigeant d’une très chouette entreprise.

Ce qui est amusant, c’est que les gens qui m’ont connu jeune sont surpris par le fait que je sois le manager d’une entreprise. Et ils sont encore plus surpris et perplexes que cette entreprise recherche l’innovation, obtienne des résultats convenables, et puisse compter sur la confiance de ses collaborateurs, fournisseurs et clients. C’est plus convaincant pour eux quand ils apprennent qu’un duo dirige alter expo. Accompagné d’un spécialiste, pensent-ils. Et l’incrédulité fait son grand retour quand ils apprennent que l’autre dirigeant n’est pas un expert technique mais une pianiste.
Comment diable une pianiste et un thérapeute “vous devriez…” peuvent-ils gérer une entreprise de construction de stands ?

Je comprends leurs interrogations. Auparavant, seuls des experts étaient managers. Ils savaient ce qu’il fallait faire, et comment l’entreprendre. Mais avant, tout était clair : vous postuliez pour un travail grâce à l’expérience déjà accumulée, et à la fin de votre carrière, vous étiez un expert dans votre domaine !
C’est pour cette raison que l’ancienneté est appréciée. Durant votre carrière, vous apprenez de nouvelles techniques, plus modernes, mais en fin de compte, vous exercez le même métier de vos débuts à votre pension. Vous le faites simplement plus vite et mieux. Aujourd’hui, c’est autre chose. Ceux qui travaillent aujourd’hui comme il y a 10 ans risquent d’atterrir dans un musée du folklore.
Dans cette optique, vous pourriez vous qualifier d’expert, mais il y a le risque que vous soyez un expert dans un domaine déjà dépassé.

J’ai entendu pendant des années les critiques d’un fabricant de meubles traditionnels à l’encontre de l’industrie du meuble en contreplaqué. Son produit était de meilleure qualité et les meubles en contreplaqué, en comparaison, étaient de la “camelote bon marché”. Il livrait un produit de qualité et les autres non. C’était lui le spécialiste, et les autres des amateurs. Personne ne pouvait le contredire, il avait parfaitement raison. Seulement, sa maîtrise très avancée l’avait empêché de voir que les besoins des consommateurs avaient changé. On achetait des meubles de style pour la vie, et même pour les transmettre aux générations futures. Et soudain arriva le moment où presque plus personne ne voulait ses meubles pour la vie. Après tant d’années, les gens étaient lassés de leur intérieur, et voulaient le remettre au goût du jour et suivre les tendances.
C’est ainsi que le budget consacré à des meubles de toute une vie change et comprend à présent plusieurs changements d’intérieur. La notion de qualité n’est plus la même.

La notion de manager aussi a changé. Avant, vous deviez être le meilleur et le montrer. Toute l’entreprise pouvait bénéficier de votre expertise. Aujourd’hui, vous devez accepter que d’autres personnes puissent être plus performantes que vous sur certains aspects.

Une excellente connaissance du produit, et un instinct sûr restent indispensables. Vous ne pouvez pas être le meilleur en tout. Vous n’êtes pas le seul à avoir toutes les connaissances. Internet offre un accès à une foule d’informations. Il suffit pour s’en convaincre d’aller jeter un coup d’œil à la présentation de Jef Staes “You are a sheep !” 

Un produit ou service évolue aussi à une vitesse folle. C’est difficile à suivre, sans devoir même être un expert. Plutôt que de rester désespérément cramponné à votre spécialité, il vaut mieux remettre en question vos produits ou services régulièrement. C’est parfois même la bonne solution pour arriver à obtenir un nouveau produit, service, ou business model. Si vous ne le faites pas, ce sera quelqu’un d’autre, et vous arriverez trop tard pour changer de cap.

Soyez donc prêts à toujours évoluer dans votre spécialité ou même à en dévier. Ceci est valable pour les entrepreneurs, mais aussi pour les employés. Je pense que dans mon cas, c’est un peu plus facile, car je sais bien ne pas tout savoir.

Mon but n’est absolument pas de remettre en cause les experts, ou de mettre mes succès en avant. Un spécialiste est précieux et le restera. La réussite dépendra de la façon qu’aura l’entreprise d’acquérir ses compétences spécialisées via des canaux externes. Et c’est différent de la façon dont le dirigeant s’approprie ces connaissances et valeurs.

Il ou elle devra se focaliser sur d’autres compétences : la curiosité, l’envie d’apprendre, la flexibilité (dans le sens où il pourra rapidement travailler avec de nouveaux matériaux et les adapter à de nouvelles situations). Un dirigeant fait aussi fonction de liaison : il sait adapter et intégrer ses connaissances lors de situations variées. Il est quelqu’un qui peut résoudre un paradoxe. Il peut éclairer les différents angles d’un problème. En bref, il a une vue panoramique et peut indiquer à l’entreprise quelle direction prendre.

De plus, un manager sait rassembler des personnes passionnées et compétentes dans un environnement stimulant. Il crée un endroit où ces personnes trouvent les ressources pour se développer et mettre leurs capacités au service de l’entreprise. Ils sont les nouveaux spécialistes. Le dirigeant pousse ses collaborateurs à le dépasser et exceller dans certains domaines (ce n’est pas du tout un problème en ce qui me concerne). En considérant les choses ainsi, il est beaucoup plus facile d’accepter qu’une personne au profil complet puisse diriger avec succès une entreprise et la rendre innovante.

Je vais être parfaitement honnête : la chance aussi joue un rôle. Et pour mémoire : chez nous, nous dirigeons en duo et je peux toujours compter sur un partenaire exceptionnel.